Lexiques techniques et commentaires scientifiques

Sous axe : Le lexique médical du grec ancien : analyses des Anciens et analyses des Modernes

Dans cet axe, on se propose d’étudier la langue en tant qu’outil et objet d’analyse dans la science grecque, en considérant la longue durée et en privilégiant les approches lexicale, étymologique, sémantique, morphologique et syntaxique.
L’étude portera sur un corpus incluant trois types de textes :

  • (1) textes scientifiques, qui portent une attention particulière à la terminologie technique de la discipline et à sa formation : médecine, physique, géographie, géométrie, mathématiques, astronomie, musique, grammaire, science juridique ;
  • (2) textes à caractère exégétique ou didactique, qui étudient la langue comme un élément d’interprétation ou d’établissement d’un texte donné : scholies, commentaires et paraphrases ;
  • (3) textes consacrés à l’étude de la langue comme objet en soi : traités de grammaire, lexiques, etymologica.
    La façon dont les Grecs considéraient et analysaient leur langue est un objet d’étude important à double titre, dans une perspective d’histoire des idées en général et, en particulier, dans une comparaison avec les méthodes de la linguistique moderne. Pour le philologue, en effet, la connaissance des modalités et des ressources de l’analyse linguistique pratiquée par les Grecs est fondamentale pour pouvoir mettre en contexte les schémas explicatifs que la tradition leur prête et porter un regard critique sur leur activité exégétique et éditoriale. Enfin, les textes qui témoignent de cette activité sont un réservoir inestimable de citations d’auteurs et de fragments d’œuvres autrement perdues, ce qui fait d’eux une source primaire pour des pans entiers de la littérature technique, mais aussi pour les genres littéraires les plus variés, poétiques notamment.
    Pour l’approche étymologique du corpus, le travail s’articulera avec le projet Etygram (« Étymologies grecques antiques et médiévales », http://www.cepam.cnrs.fr/etygram/), conduit par l’association du même nom, dont l’objectif est la constitution d’un dictionnaire en ligne des étymologies proposées par les Grecs eux-mêmes. Un colloque sur le thème est prévu en septembre 2018, qui fait suite à un autre organisé à Nice en 2016 (Arnaud Zucker, UMR 7264 CEPAM). Une troisième manifestation à Paris au cours du prochain contrat est envisagée. En collaboration avec d’autres membres de l’UMR 8167 (M. Egetmeyer, N. Rousseau) et dans le cadre d’un projet coordonné par Sophie Minon (UMR 8210 AnHiMA), on étudiera spécialement l’apport des lexiques et etymologica à l’analyse des anthroponymes grecs, en vue d’une refonte du dictionnaire de Bechtel, Die Historischen Personennamen des griechischen bis zur Kaiserzeit (1917).
    La dimension philologique est largement transversale à l’équipe. Elle déterminera l’étude du genre du commentaire, en tant qu’il a été durablement, de l’Antiquité tardive au XVIe siècle, le vecteur le plus dynamique de la diffusion des mots et des textes de plusieurs littératures techniques, dont il a contribué aussi à actualiser le message ; en tant aussi qu’un intérêt nouveau se fait jour, dans les études classiques, pour la littérature des scholies, dont témoigne par exemple la collection Fragments (Les Belles Lettres). Un atelier expérimental sur la langue des scholies réunira périodiquement les membres de l’équipe sur les textes grammaticaux, juridiques et géographiques, auxquels se joindront d’autres chercheurs de l’université de Paris Sorbonne (ainsi Alessandro Garcea, EA 4081 Rome et ses Renaissances) ou de l’université de Franche-Comté (EA 4011 ISTA). En vue d’une édition, une étude particulière sera réservée aux scholies et commentaires tardo-antiques et byzantins à la Description du monde de Denys d’Alexandrie, qui constitue le corpus exégétique le plus fourni de la littérature géographique antique et est une de nos principales sources de connaissance de la littérature poétique fragmentaire d’époque hellénistique et du début du Principat. Par ailleurs, le travail sur les scholies à Homère, entrepris dans un autre cadre, sera poursuivi : l’étude de ces textes dans une optique linguistique apporte des données nouvelles pour l’édition du texte homérique et pour sa compréhension et, partant, la traduction qui en est faite.
    L’approche terminologique est également transversale aux différents axes de l’équipe ; au cours du contrat prochain, trois champs lexicaux feront l’objet d’études de cas, ceux de la philologie homérique (Cl. Le Feuvre), des institutions juridiques (D. Mulliez) et des sciences de l’espace (D. Marcotte).
    Basé sur les travaux du groupe chargé de l’édition des Géographes grecs dans la Collection des Universités de France (CUF), un dictionnaire des mots de la géographie antique sera entrepris à partir de 2019 pour Brepols Publishers. Il fera apparaître l’épaisseur historique, voire la polysémie, que les mots de la géographie gréco-romaine ont pu présenter depuis les textes fondateurs ioniens jusqu’à leurs lointains héritiers de l’Antiquité tardive. L’outil fera voir des moments importants dans l’évolution du lexique grec ; il donnera ainsi un certain relief à la rencontre de la science alexandrine et de la conception romaine de l’espace. Le lexique embrassera pour partie la terminologie des disciplines constitutives de la description spatiale, telle la géométrie ; à ce propos, le vocabulaire de l’arpentage y sera intégré en tant qu’il touche à la cartographie davantage qu’à l’agronomie. Il en ira ainsi des mots empruntés au lexique du cadastre et du recensement. On se fondera aussi sur la documentation papyrologique, qui a permis de renouveler en profondeur l’interprétation du vocabulaire technique d’époque hellénistique ou impériale. Enfin l’enquête s’ouvrira à la langue des médecins environnementalistes, comme l’hippocratique d’Airs, eaux, lieux, ou des historiens de la culture, tels Agatharchide ou Poséidonios, attentifs à décrire les interactions de l’homme et du milieu.
    Le projet sera mené avec le Cluster berlinois TOPOI (FU et Humboldt Uni), qui apportera la complémentarité indispensable dans le domaine de la géographie mathématique et de l’astronomie. D’autres spécialistes français et étrangers, notamment parmi les partenaires du réseau MeDIan (« Les sociétés méditerranéennes et l’océan Indien ») collaboreront au projet, auquel on adossera aussi une candidature au dispositif H2020.
    En partenariat avec l’IRHT, un séminaire doctoral bisannuel, d’une à deux semaines, ouvert aux différents axes de l’équipe « Médecine grecque et littératures techniques », sera organisé sur le thème « Littératures techniques et tradition des textes scientifiques de l’Antiquité gréco-romaine ». Proposé aussi aux étudiants de master 2, il introduira à la méthodologie de l’étude des traditions savantes, notamment dans une perspective philologique ; il aura vocation à inscrire les jeunes chercheurs dans de futures collaborations à l’échelle internationale.

    Sous-axe « Le lexique médical du grec ancien : analyses des Anciens et analyses des Modernes »
    Responsables : Nathalie Rousseau ; Françoise Skoda.
    Les recherches portant sur la formation du vocabulaire médical ont donné lieu à une série d’articles portant sur les procédés de dérivation, et étudiant, grâce au dépouillement d’un corpus exhaustif des termes ainsi formés, le fonctionnement particulier de plusieurs suffixes engagés dans la formation d’un vocabulaire technique : substantifs de qualité en -της, -τητος, adjectifs de relation en -ιαιο- et -ιδιο-, ou encore en -ιακό-. Dans une perspective à la fois synchronique et diachronique, ces études accordent une large place à l’histoire de ces formations, en passant parfois par l’intermédiaire du latin, jusqu’aux langues modernes. Les recherches ont été menées en lien avec les objectifs des autres axes : l’étude des termes en -ιαιο- et -ιδιο- propose des critères linguistiques à l’appui des choix textuels des éditeurs, tandis qu’une étude portant sur la formation et l’histoire du terme θηριακή « thériaque » donne des arguments linguistiques qui corroborent l’hypothèse de l’inauthenticité de la Thériaque à Pison longtemps attribuée à Galien. Par ailleurs, une série d’études a éclairé le sens et l’histoire de termes importants comme ἀειπάθεια, αἱμάλωψ, ἄνεμος, βλιμάζω, γλαύκωμα, ἐρυσίπελας, καρδίης παλμός, κεναγγής et κεναγγία, μυδρίασις, ὀξυδορκıκὰ κολλύρια, φθειρίασις, τρέφω.
    En 2014 est paru un volume consacré à « L’expressivité du lexique médical en Grèce et à Rome » : sur les 31 contributions réunies par I. Boehm et N. Rousseau en hommage à Mme Françoise Skoda, 6 sont dues à des membres de l’équipe, et 6 à des membres associés, français et étrangers.
    En 2016, N. Rousseau a publié un ouvrage intitulé Du syntagme au lexique. Sur la composition en grec ancien, qui fait une large place à l’étude du vocabulaire anatomique et pathologique.
    Une nouvelle voie de recherche a été ouverte : N. Rousseau a été accueillie en délégation au sein de l’équipe pour une durée de 18 mois (février 2016 – août 2017) afin de poursuivre des recherches sur le sujet « Nommer la science : les réflexions galéniques sur la langue de la médecine ».
    Le partage des résultats issus de la recherche a été étendu par l’ouverture, durant l’année 2014-2015, aux étudiants de l’Université Pierre et Marie Curie du cours de licence de N. Rousseau sur l’héritage du vocabulaire grec en tant que l’un des « Sujets choisis » (UE transversale) du parcours « Histoire et philosophie des sciences et des techniques » de la Mineure « Sciences Humaines et Sociales » (Licence « Science et Technologie »).

Dans la continuité de la nouvelle voie récemment ouverte (« Nommer la science »), les recherches sur les réflexions que Galien de Pergame consacre à la langue de la médecine seront poursuivies et aboutiront à la publication d’un ouvrage. Elles mettront en lumière le caractère très novateur de la pensée galénique, à la croisée de l’analyse philologique et grammaticale, de la philosophie du langage et de l’histoire des sciences.
Parallèlement, poursuivant des observations précédemment menées dans des articles publiés et en cours, des travaux seront consacrés au vocabulaire médical d’origine grecque et latine tel qu’il est reflété par les dictionnaires médicaux du XVIIe siècle au milieu du XXe siècle (mis en lumière par la Bibliothèque numérique Medic@), en faisant porter l’accent sur les problèmes de discontinuité sémantique (reprise d’un même mot en référence à un autre concept médical), et d’usage (présence, dans ces dictionnaires, de termes inusités, mais conservés en raison de la persistance de l’influence des textes médicaux antiques). Ces recherches constitueront un travail préalable à l’élaboration d’un Dictionnaire historique des termes médicaux, prenant en compte leur évolution depuis le grec ancien jusqu’au vocabulaire médical moderne.
Enfin, c’est également à la conjonction des analyses des Anciens et des Modernes que s’articulera la collaboration avec le sous-axe « Le corps antique », qui fournira des outils linguistiques nécessaires à la compréhension du lexique spécialisé présent dans les textes fondateurs de l’anatomie et de la physiologie antiques, et ensuite repris par la pensée moderne.
La diffusion de la recherche sera poursuivie, en ouvrant notamment plus largement le cours sur l’héritage du vocabulaire grec aux étudiants littéraires et scientifiques de Sorbonne Université.